<%@LANGUAGE="JAVASCRIPT" CODEPAGE="1252"%> Gilbert Mazliah, artiste, peintre, enseignant, Genève, Suisse
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LE PRESENT EST UN PRESENT
Petit conte des carnets noirs

Un mois de novembre il est apparu dans l’un de mes carnets noirs où j’inscris, depuis 1983, des notes parallèles à mon travail…

Au début, perdu parmi d’autres textes et dessins, il était si petit et discret que je l’ai à peine remarqué (il était pourtant en gestation depuis longtemps !). Il est revenu, de-ci, de-là, au fil des jours et, peu à peu, j’ai pris conscience que des personnages prenaient corps autour d’un objet convoité. Un décor se mettait en place, et chaque « chapitre » venait de lui même, phrase après phrase, derrière les premiers mots posés, peut-être comme une question, sur le papier quadrillé.

En fait, j’étais plus en lecture qu’en écriture, et, comme un lecteur, j’étais suspendu à l’intrigue qui se déroulait sous mes yeux, curieux d’apprendre ce qui allait se passer.

Bien sûr, j’étais conscient que ces péripéties étaient liées à des évènements que j’étais en train de vivre. D’ailleurs ça me permettait de prendre une distance bienfaisante vis-à-vis d’eux. Mais chaque fois j’étais surpris par le tour inattendu des évènements et par ce que « ça » semblait vouloir raconter. J’ai bientôt compris que je ne maîtrisais pas vraiment la situation et que par cette activité -devenue désormais nécessaire- je permettais le développement d’une sorte d’organisme indépendant avec sa réalité, son rythme et sa logique.

Un jour, avec le sentiment qu’un premier cercle se fermait, j’ai eu besoin d’extraire cette sorte de « conte » hors de mes carnets noirs. En le transcrivant, à mon étonnement, je me suis aperçu de l’unité de l’histoire, de sa cohérence non concertée. J’ai constaté aussi qu’il n’apparaissait qu’à certaines périodes et que parfois, pendant longtemps, il tombait dans l’oubli. Néanmoins il devait continuer d’exister ailleurs, hors de ma réalité ordinaire, et il s’inscrivait à certains moments en entrant en contact avec ma vie consciente, dans l’intersection entre ces deux mondes que constitue l’espace-temps de mes carnets noirs. Pour le livre, cela m’a poussé à conserver fidèlement les dates de son apparition dans mon « journal », indiquant ainsi les connexions et la durée réelle les séparant. C’est d’ailleurs toujours avec surprise que je retrouvais (et retrouve parfois) ces personnages au détour d’une page, après une longue absence où ils n’existaient plus du tout pour moi ; un peu comme si mon récepteur recevait de nouveau cette longueur d’onde.

(…)

Première partie d’un texte manuscrit inclus dans le livre (1996)

Gilbert Mazliah